

Mars 2015
Les débuts de l’Aménagement de la Vallée du Lot
L ’Aménagement de la Vallée du Lot, l’une des plus belles rivières de France, est né d’une volonté locale, à la fin des années 60. Nous avons demandé au Decazevillois, Christian Bernad, Président fondateur de l’Association, de nous relater les premiers moments de cette entreprise qui, actuellement, est montrée en exemple, au niveau international.
Pierre Poujol: Christian Bernad, quelle était votre place dans le dispositif administratif local dans les années 60 ?

Crristian Bernad
J’ai été nommé Professeur au Cours Complémentaire Industriel de Decazeville en Octobre 1955, chargé d’enseigner le dessin industriel, la mécanique et les technologies. Cet établissement deviendra quelques années plus tard le Lycée Technique.
Très rapidement, je me suis impliqué dans les activités culturelles et sportives de la ville avec Pierre Thamié, Christian Da Silva, Jean Ségalat, Gilbert Bou… Je fréquentais également le Syndicat d’Initiative, présidé alors par un homme entreprenant, intelligent, Robert Gauthier, commerçant, membre de la Chambre de Commerce. C’est dans cet organisme naissant qui liait l’économie et le tourisme que j’ai « pris le goût du Bassin » où l’on ressentait déjà les prémices d’une récession. Après la fermeture des mines, en 1962, et les difficultés ressenties dans les entreprises de sidérurgie, nous percevions que l’économie du Bassin déclinait pour atteindre un seuil critique et qu’à notre niveau, en solidarité avec l’ensemble de la population, nous devions réagir. C’est ainsi que nous avons créé une équipe informelle, très éclectique que nous appelâmes « Le Groupe d’Etudes Economiques du Bassin ». Il ne s’agissait pas de nous substituer aux élus et aux institutions en place, mais de réfléchir ensemble sur la situation et de proposer des axes d’actions pour l’avenir. Parmi nous, des enseignants, des ouvriers, des ingénieurs, des fonctionnaires, des agriculteurs, des syndicalistes (*), bref, des gens de bonne volonté. Quelques fois, nous nous faisions épauler par des professeurs d’Université comme Bernard Kayser, André Boudou ou Coppolani.
Deux grands projets émergèrent de nos réflexions :
1-Désenclaver le Bassin par un axe routier ; ainsi naissait en 1965 l’Association Brive-Méditerranée, présidée par Robert Gauthier (il faut s’imaginer qu’à l’époque, l’itinéraire pour se rendre à Figeac passait par Montredon).
2-Promouvoir le développement touristique de la Vallée du Lot
Les deux projets présentaient l’avantage de se croiser opportunément à Decazeville, intégrant ainsi le Bassin dans un espace géographique plus vaste.
En 1965, le Maire de Decazeville René Rouquette, à l’occasion des élections municipales me demanda d’intégrer sa liste. C’est ainsi que je devins Conseiller Municipal de Decazeville.
En Avril 1968, à l’initiative de Robert Gauthier, Président du Syndicat d’Initiative, se tient à La Madeleine, au bord du Lot, une réunion à laquelle participaient des personnalités diverses des départements de l’Aveyron, du Cantal, du Lot, notamment du Député Bernard Pons et quelques élus. A cette réunion, Abel Delagnes présenta un projet d’aménagement de la Vallée du Lot conçu par le Groupe d’Etudes Economiques, en vue de le faire prendre en considération par l’Etat dans le 6ème Plan de Rénovation Rurale. Cette assemblée suggéra de se constituer en Association Loi 1901. Une deuxième réunion, en Octobre 1969, à Espalion, plus représentative, conforta le projet d’aménagement et proposa de l’étendre à la Lozère.
Dès lors, le Groupe d’Etudes Economiques se mit en train pour préparer l’Assemblée Générale constitutive de « l’Association pour l’Aménagement de la Vallée du Lot » qui se tiendra à Decazeville le 9 Mai 1970. A ma grande surprise, le Groupe décida préalablement de proposer ma candidature à la présidence de la nouvelle Association. Pris au piège, j’ai accepté, non sans me poser des questions…
Entre temps, les demandes d’adhésion arrivaient de toutes parts : communes, Chambres Consulaires, Offices de Tourisme. Les départements et leurs élus de l’Aveyron, de la Lozère, du Lot et du Cantal se déclaraient favorable à notre démarche. En Octobre 1970, le département du Lot-et-Garonne demanda de nous rejoindre.
L’Assemblée Générale se déroula dans une ambiance très chaleureuse et enthousiaste. Elle était honorée par la présence du Maire René Rouquette qui accueillait Bernard Pons devenu Secrétaire d’Etat à l’Agriculture, des Préfets de l’Aveyron, du Lot et de la Lozère, de tous les Parlementaires et de très nombreux élus. Bernard Pons, qui nous soutenait depuis le début, déclara « Là où il y a des idées, là où il y a des hommes, il y aura des crédits ». Nous n’aurons pas à être déçus. Devant ce beau parterre, je suis élu Président de l’Association. Confus, je mesurais la charge qui me tombait sur les épaules alors que je n’avais rien demandé. Heureusement, je suis réconforté par la présence au bureau de mes amis decazevillois : Abel Delagnes, élu Secrétaire ; Pierre Bourdoncle, Trésorier et Robert Gauthier, Président d’Honneur.
Quel a été le rôle du Président Pompidou ?
Voilà une question qui mérite d’être posée. En 1990, quand nous avons publié notre livre sur le Lot aux Editions Privat, dans la collection Rivières et Vallées de France que je codirige avec Guy Cavagnac, je ne possédais pas de témoignages explicites de l’engagement du Président Georges Pompidou sur notre entreprise. Certes, je savais qu’il s’y intéressait, mais je considérais que sa présence sur les bords du Lot influençait indirectement les décideurs au niveau de divers ministères que nous sollicitions. Il fallut la parution, en 1999, de l’ouvrage sur le Lot de mon ami Pierre Truteau pour que, dans la préface, l’ancien Préfet du Lot Paul Massson, nous révèle l’anecdote suivante que je connais presque par cœur :
« En Janvier 1970, le nouveau Président de la République, après un déjeuner à Cajarc chez le Maire Guy Murat, alla faire à pied quelques foulées le long de la rivière. Sur un ton un peu gouailleur, il interpelle :
– Elle n’est pas très propre cette rivière, Monsieur le Préfet !
-Il dépend du gouvernement qu’il en soit autrement, Monsieur le Président
-Qu’est-ce à dire Monsieur le Préfet ?
-Si j’avais les crédits, je serais en état d’engager, sur toute la vallée du lot une opération exemplaire
-Monsieur le Préfet, j’attends vos propositions. »
Ainsi, sur les bases du programme élaboré par le Groupe d’Etudes Economiques du Bassin, sous l’autorité du Préfet Masson, et l’influence déterminante de Bernard Pons, naquit une opération intergouvernementale sous le vocable « Lot, rivière claire » qui reçut ses lettres de noblesse au Conseil Interministériel du 15 Octobre 1970 présidé par Georges Pompidou lui-même.
Et le Préfet Paul Masson d’ajouter à ce récit : « Je n’aurais pas un instant pu imaginer que c’était le début d’une aventure qui déboucherait sur la première opération intégrée d’aménagement durable et qu’elle mobiliserait les élus et les administrations de cinq départements répartis sur 4 régions, avec le concours d’EDF, de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et surtout de ces bénévoles si dévoués à travers l’admirable association présidée par Christian Bernad ».
Comment s’est passé la collaboration aves les entités administratives ?
Dès le début, nous avons senti que l’Etat nous soutenait et qu’il s’intéressait à ce projet innovant. Les cinq Préfets nous épaulaient ainsi que les services techniques de l’Administration. La nomination d’un Chargé de Mission interdépartemental, en la personne de l’excellent Pierre Truteau, fut un témoignage très significatif.
Rapidement Pierre Truteau organise le système, il coordonne les études et harmonise les programmes d’intervention. Son successeur Jean-Marcel Ferlay se montrera également très efficace et imaginatif. Il ne faut pas oublier que nous étions avant les lois de décentralisation. Le pouvoir se situait à Paris.
Rappelons aussi que c’est en Janvier 1971 que fut créé en France (une première mondiale) un Ministère de l’Environnement. Bénéficiant du consensus général, une initiative provinciale comme l’Aménagement de la Vallée du Lot, qui n’était pas de caractère à troubler l’ordre public, ne pouvait qu’intéresser le nouveau Ministre Robert Poujade. Il s’empara de ce dossier qui préfigurait quinze ans plus tôt les Contrats de Rivière.
Avant 1982, le processus de financement était simple. Tous les ans, en compagnie des 5 Préfets et du Chargé de Mission, nous allions à Paris solliciter les Ministères directement concernés par nos projets.

En 1971, à la mairie de FUMEL (47) Christian Bernad expliquant le programme d’aménagement de la vallée du Lot, aux élus du Lot-et-Garonne, en présence du préfet et de Pierre Truteau, Chargé de mission. (DR)
Dès 1971, nous élaborons, en concertation étroite avec les représentants des riverains, et après de multiples réunions de l’amont à l’aval, un « Livre Blanc ». Une sorte de charte de bonne conduite où les actions des uns et des autres se complèteront pour améliorer la qualité des eaux, lutter contre toutes les pollutions, préserver la nature, améliorer le cadre de vie, développer l’exploitation touristique de la rivière et de ses affluents, garantir l’irrigation des terres agricoles, afin d’assurer au cours d’eau son rôle de vecteur économique.
Mettre en place un projet aussi ambitieux et innovant sur une rivière qui avait subi les pires outrages, nécessita la mise en place d’un programme d’études très poussé dans lequel se sont impliqués d’éminents chercheurs. Jamais autant de moyens ne furent déployés pour connaître l’écosystème d’un cours d’eau. Parallèlement aux études, les actions s’engagèrent sur le terrain.
Je ne détaillerai pas les chantiers engagés. Tous ces travaux et ces initiatives ont apporté un mieux. Mais la pierre d’achoppement demeurait la faiblesse des débits de la rivière en été ; certaines années, le Lot peut descendre à 6 m3/s. Les experts sont formels ; il convient de disposer d’une réserve d’eau de 30 millions de m3 à l’amont pour soutenir les étiages et garantir ainsi une bonne qualité de l’eau, la pratique des activités nautiques et l’irrigation. Disposer d’une réserve d’eau c’est : soit créer un nouveau barrage, soit prélever sur les barrages existants. L’Association fait savoir qu’elle ne souhaite pas, par principe, s’impliquer dans des opérations d’équipements lourds et suggère la création d’un Etablissement Public : « L’Entente Interdépartementale du Bassin du Lot » qui se constitue le 5 juin 1980 à Cahors. Elle regroupe les 5 départements concernés. L’Entente et l’Association vont désormais agir ensemble. Après l’abandon du projet de construction d’un barrage à St Geniez d’Olt, un protocole d’accord financier signé en 1989 avec EDF, et parachevé en 1994, porte sur un déstockage annuel des retenues situées à l’amont d’Entraygues. Le débit minimum naturel de la rivière en période d’été sera augmenté de 10 m3/s. Depuis 1989, le soutien des débits d’étiage s’est révélé extrêmement salutaire pour la qualité des eaux et les activités économiques liées à la rivière.
Peut-on être certain que la partie est gagnée ?
Faire revivre une rivière en 2015 paraît assez simple. Le chemin est tracé. Les actions à entreprendre sont presque préétablies. En 1970, tout restait à inventer. Les lois françaises sur l’eau et la Directive Cadre Européenne sur l’Eau se sont largement inspirées de notre expérience. Nous ressentons, avec une certaine satisfaction, la considération que l’on nous accorde.
Peut-on dire que la partie est gagnée ? Il serait présomptueux de l’affirmer ; la partie continue, elle se joue tous les jours. Elle dépend du comportement de chacun dans le cadre de ses responsabilités et de ses initiatives. L’eau est un bien fragile qui mérite une attention permanente.
Certes, en 45 ans, il s’est fait beaucoup de choses ; les pollutions domestiques et industrielles se sont largement résorbées. Aujourd’hui, en 2015, le bassin du Lot est une très rare rivière en France à atteindre 70 % du Bon Etat Ecologique des eaux selon les normes européennes. Les activités nautiques sont de plus en plus prospères : regardez la navigation fluviale et le canoë-kayak ; le tourisme s’est développé de 130 % de 1990 à 2010 …
Que reste-t-il encore à faire ?
Il reste surtout à rester solidaire de l’amont à l’aval pour résoudre les problèmes qui ne manqueront pas de se poser. Celui de la lutte contre les inondations devient le challenge des prochaines années, dès lors que la législation permet aux structures locales de l’appréhender. Il faut toujours animer les territoires, fédérer les activités, créer de nouvelles richesses, forger les spécificités, nous rendre attractifs en gardant notre spécificité. Il conviendra aussi de restructurer l’Association et l’Entente pour répondre aux nouveaux codes administratifs …
Pour faire vivre une rivière, il faut avant toute chose, l’aimer, ensuite la connaître, la protéger, l’animer, la promouvoir, c’est-à-dire donner du sens à ce que l’on fait pour le bonheur de l’ensemble des valléens.
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